Juliette Jain, spécialiste en RH, gestion d’équipes et de projets, propose des pistes pour pallier la pénurie de talents. Pour elle, les entreprises doivent notamment offrir des conditions de travail innovantes, en ligne avec les valeurs d’équilibre de vie de la jeune génération.

Quelle est l'ampleur de la pénurie de main-d’œuvre et de talents?
L’Union patronale suisse estime qu'il manquera 500'000 travailleurs d’ici à 2030 et 1,3 million d’ici à 2050 en Suisse. Les causes sont diverses. Premièrement, les babyboomers arrivent à la retraite alors que nous faisons face à une baisse du taux de natalité. Ensuite, les attentes professionnelles des nouvelles générations ont évolué vers un besoin de meilleur équilibre de vie, ainsi que de satisfaction personnelle et de développement. En outre, il existe un déséquilibre entre les compétences dont les employeurs ont besoin et celles sur le marché du travail. C’est déjà le cas notamment dans l’IT, les soins et certaines industries. D’où l’importance de la formation, de la formation continue, du perfectionnement et de la reconversion. Enfin, il y a l'évolution du besoin de compétences pour des métiers qui n’existent pas encore, notamment en lien avec l’essor numérique, la transition écologique et le développement de l’intelligence artificielle.
Vous insistez sur la marque employeur, sur l’attractivité des entreprises. En font-elles assez?
La marque employeur est l’expérience employé qui commence avec le processus de recrutement jusqu’au processus de départ du collaborateur à la fin de son contrat de travail, en passant bien sûr par le maintien des talents au sein de l’organisation. Nous sommes dans un marché de candidats. Ce n’est plus un choix: chaque entreprise, quelle que soit sa taille et sa réputation, doit travailler sur sa marque employeur. C’est-à-dire sur les paramètres d’attractivité et de rétention qui contribuent à sa réputation afin d’offrir des conditions de travail qui se démarquent et qui sont en ligne avec les valeurs d’équilibre de vie de la jeune génération. Ceci afin d’attirer les candidats, de garder ses talents et de réduire le phénomène de «great resignation» ou de «quiet quitting». Le nombre d’heures de travail par semaine, l’offre de vacances, la flexibilité d’horaire et de lieu, l’offre de formation, etc., sont notamment quelques paramètres sur lesquels se pencher. La structuration du processus de recrutement est un autre point très important. Un processus court et bien structuré évitera l’essoufflement de candidats qui pourraient se tourner vers d’autres offres attractives émergeant entretemps. Une approche favorisant l’objectivité menée par des professionnels formés qui ont des compétences interpersonnelles, ainsi qu’une approche marketing afin de faire envie aux potentielles futures recrues, font une différence.
La formation continue est-elle une piste pour conserver les talents ?
Les programmes des formation internes, l’encouragement à suivre des cursus certifiants externes, ainsi que les conditions offertes par l’employeur au niveau du temps mis à disposition ainsi que des ressources financières, font partie de la marque employeur et donc de l’attractivité de l’entreprise. Chaque société devrait réinvestir un pourcentage de son chiffre d’affaires dans la formation. C’est un moyen de développer les compétences en interne au lieu d’aller les chercher en externe, et d’offrir des perspectives de développement professionnel à ses employés qui correspondent à leurs aspirations de carrière. Ce dernier point est souvent négligé, notamment dans les PME, par souci de facilité et de contraintes budgétaires.
Vous prônez de nouveaux modèles d’employabilité. Des exemples?
L’époque du salarié en CDI 8h-17h est révolue. Les jeunes ne sont plus attirés par ce type de contrat. Des modèles plus flexibles avec des recrutements par compétences et par projet font partie des normes du futur. On peut parler de freelances, de «contractors», managers ou spécialistes de transition, d’externalisation de compétences, de «turnaround» managers etc. Les avantages sont la flexibilité, la gestion des risques et des coûts. L’accès à ces professionnels amène une valeur ajoutée immédiate. A titre d'exemple, il existe des services comme celui que j'ai créé (The Links) actif dans le courtage de managers de transition et de crise, ainsi que dans la mise à disposition de spécialistes externalisés en 48h. Ce service répond à un besoin très récent en Suisse, qui s’est accentué post-Covid. En conclusion, la pénurie actuelle de main-d'œuvre et de talents est caractérisée par une interaction complexe de déséquilibres des compétences, d'avancées technologiques et de changements dans les attentes de la main-d'œuvre, nécessitant des réponses créatives et flexibles de la part des employeurs.
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